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Le paradoxe intenable de la Kajira de Norman

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Commençons sans tarder, ni mâcher mes mots : John Norman est un con. Je l’exprime ici clairement, sur le dernier article consacré au sujet général des esclaves de Gor, car c’est mon opinion et, croyez-moi, ce n’est pas la lecture de ses 34 romans et de ses essais et thèses qui a modifié mon avis, bien au contraire.

Ceci étant dit, ici, je vais parler de l’une de ses raisons d’être un con : la kajira de Gor. Cette invention, sur laquelle repose la grande majorité de ses intrigues et péripéties est un fantasme improbable et mal assumé, mais surtout est une construction intenable et incohérente telle qu’il la présente, entièrement bâtie sur un amoncellement d’injonctions paradoxales et qui ne résiste pas très bien à la comparaison avec les faits qu’il décrit lui-même dans ses romans.

Note de l’autrice : Je tiens à préciser qu’il s’agit ici d’une analyse personnelle, volontairement à contrepied de beaucoup d’autres thèses et analyse sur la philosophie et la psychologie de Norman. Si je tape fort dessus, c’est aussi pour montrer qu’on ne peut pas juste se contenter de prendre un seul aspect des propos de Norman pour en tirer une analyse en écartant tous les autres faits, mais qu’il faut tenir compte de l’ensemble de l’œuvre, sans se voiler la face. Une fois une analyse plus globale effectuée, il en ressort trop d’incohérence pour que sa fiction tienne la route. Et là encore, c’est personnel, mais je déteste cela. Je me suis donc chargée ici de le dénoncer. Modérez mes propos, je ne suis pas tendre ci-dessous, après tout c’est une thèse, pas un document neutre. Mais le fond reste parfaitement légitime et documenté.

1- Paradigmes et suspension temporaire de l’incrédulité

Un petit tour par les principes de la littérature s’impose pour clarifier mon propos. Une règle issue de la philosophie et exploitée en fiction est celle du paradigme : dans un univers de fiction, surtout fantastique (fantasy, scifi, etc.), on doit admettre que certaines entorses à la réalité, plus ou moins importantes ou grossières soient admises comme faisant partie de l’univers et de ses règles : dans Harry Potter, il est clair que les lois de la physique et de la causalité n’ont plus cours dès lors qu’on est un sorcier, par exemple. Plus simplement, dans un film comme John Wick, on admet qu’il puisse exister une organisation mondiale et élaborée de super-assassins qui ne craignent tellement pas les forces de l’ordre que celles-ci n’y existent même pas au sein de l’intrigue, aux scènes pourtant assez sanglantes pour rameuter dix camions de SWAT et des unités d’assaut !

On appelle cela un paradigme :  une représentation du monde, une vision cohérente mais pas forcément juste, partagé par un ensemble de gens considérant que c’est une réalité, mais qui n’a pas nécessité en fiction de se baser sur nos propres règles de la réalité physique.

En fiction, et surtout au cinéma, cela s’appelle la suspension temporaire de l’incrédulité. C’est ce qui vous fait apprécier les exploits et les pouvoirs incroyables des super-héros des films Marvel, tant que vous y trouvez votre compte dans la cohérence de l’univers et de l’intrigue. Pour que quelque chose, qui ne peut pas fonctionner si vous restez incrédule, fonctionne en fiction, il faut vous encourager à accepter de bonne grâce de devenir crédule, pour le temps de cette fiction. Ça marche tout aussi bien avec des romans que des séries, des films ou encore des tours merveilleux de passe-passe d’un prestidigitateur en spectacle. Le paradoxe de la suspension temporaire de l’incrédulité, c’est qu’elle doit être bâtie sur une fiction narrative et contextuelle cohérente ; elle seule vous fournit alors le moteur pour admettre d’être crédule.

Et c’est là que le bât blesse constamment dans l’œuvre de Norman : par l’accumulation de contradictions et d’injonctions paradoxales, il ne parvient jamais à susciter cette cohérence nécessaire à la suspension temporaire de l’incrédulité et, c’est surtout de cela que je vais parler, avant tout en ce qui concerne les kajirae, les femmes-esclaves de son monde. Car, oui, le concept prétendu et les faits décrits ne tiennent pas une seule seconde la route ensembles.

2- Les paradoxes de la Kajira

Je vais donc passer en revue tous les points qui décrivent la kajira de Gor tel que Norman la définit et expliquer pour chacun où est le paradoxe entre ce que Norman prétend de ce qu’est la Kajira, et les faits de ses romans, qu’il décrit donc lui-même et qui contredisent ses prétentions. Sincèrement, je ne pourrais pas tout aborder et je ne vais pas parler du reste des contradictions sévères de ces romans (en terme de culture, de sociologie, de psychologie, de sciences et de techniques), car un livre entier ne serait pas de trop pour en faire le menu.

Ici, je vais surtout casser du mythe : on décrit l’esclave goréenne, la Kajira, par défaut comme toujours : heureuse, dévouée, épanouie de son propre sort, totalement offerte au service des libres, honnête, fière, amoureuse, sensuelle et j’en passe. Or, rien ne tient dans aucunes de ces propositions, dès lors que l’esclave a ne serait-ce que deux grammes de jugeote et constate la manière dont elle est traitée et dont sont traitées les esclaves autour d’elle. Même dans un univers plaçant comme paradigme que les femmes sont soumises par nature, et où les esclaves sont élevées comme du bétail sélectionné depuis des millénaires, la cruauté inimaginable du sort qui les attends et dont elles sont totalement conscientes, témoins et victimes, ne peut que pousser grand nombre d’entre elles dans la détresse la plus désespérée et aux pires extrémités pour y échapper, suicide y compris. Car les incohérences et les paradoxes sont si nombreux, que tout esprit y perdrait la raison, même dûment modelé, asservi et conditionné. Car ce qu’un animal avec un peu d’intelligence supporterait mal, un être humain et son intelligence critique forcément plus élevée ne peut simplement pas l’endurer.

2-1 La dévotion

Selon Norman, une esclave est forcément et immédiatement dévouée à son maitre, totalement et absolument ; une dévotion qu’elle doit montrer pour toute personne libre qu’elle sert, de la même manière que si c’était son maitre. C’est ce qu’on attend d’elle et on le lui demande, ou plus précisément, on le lui impose. Mais voilà, le problème, c’est le sens de ce mot et, je vous le garantie, Norman croyait parfaitement à ce qu’il écrivait en employant totalement de travers un tel concept.

La dévotion est une manifestation de sentiment quasi-religieux, une forme profonde d’adoration, ici envers un maitre. Or, on ne peut être dévoué que par des expressions d’attachement psychologique intense, fruit d’une longue interaction émotionnelle enrichissante. La dévotion, quand elle sert une personne, est une forme d’amour inconditionnel et aveugle, mais qui attend et espère une récompense, une gratification. Et ça ne se crée pas sur commande.

Les kajirae ne sont fondamentalement pas dévouées. Elles sont seulement bien entrainées et conditionnées à en donner l’impression de manière convaincante, tant qu’on ne gratte pas trop et qu’elles évitent de réfléchir un tout petit peu. En gros, elles savent faire semblant. Pourquoi ? Parce que sans cela, elles savent qu’elles seront châtiées, voire tuées… ou éventuellement vendues pour un sort parfois pire que celui qu’elles connaissaient. C’est exactement ce qui est décrit dans les romans sur ce point. Une esclave est un objet, un animal sans droits dont les émotions n’ont aucune valeur et dont la vie vaut juste quelques pièces. Ne pas faire semblant de manière convaincante d’être dévouée, c’est risquer de mourir.

La dévotion ne se crée que par reconnaissance, admiration et amour pour une autorité supérieure qu’on conclue, suite à une interaction positive, bienveillante, au point de pouvoir vénérer cette bienveillance et attendre d’elle gratification pour cette adoration. Quand on a peur de mourir chaque jour, devant un maitre plus en moins indifférent, froid ou cruel, qui considère son esclave comme une chose qui peut être exploitée, violée et battue juste par envie, on n’a pas de dévotion. Mais par contre, on fait très bien semblant pour essayer de rester en vie ! Bien entendu, une dévotion peut parfois se créer chez la kajira pour son maitre ; celui-ci se montrant bienveillant, généreux, protecteur, en somme gratificateur, même relativement et même si c’est par ailleurs une brute, si cette dernière se sent protégée et aimée, considérée et réellement récompensée.

Il s’agit là du syndrome de Stockholm, qui se crée pour résister à la violence d’une situation difficilement tenable psychologiquement, pour essayer de produire un lien d’identification positive à son agresseur ou tortionnaire. Si ce dernier agit pour protéger sa victime et la considérer avec une certaine bienveillance et de véritables égards, même en étant en même temps menaçant, violent et cruel, un lien se crée, qui peut mener sur le long terme à une manifestation sincère de dévotion.

Mais cette même dévotion n’existera jamais pour le voisin de son maitre qui est un rustre violent et puant, ou le quidam en taverne qui exige que l’esclave vienne lui lécher les bottes pour prouver sa dévotion (exemple tiré des romans). Elle ne fait qu’une chose : faire semblant et obéir, pour ne pas souffrir ou mourir.

2-2 Le bonheur

Selon Norman, les esclaves sont toutes heureuses en général. Leurs sourires ne sont pas feints, elles rient, elles sont joyeuses, vivantes, sensibles et en gros, béates de leur sort. Elles pleurent parfois, boudent de temps en temps, mais c’est tout. Le bonheur, ceci dit, est un état émotionnel stable, équilibré et durable (et donc pas un truc de joie passagère), dans lequel un individu profite de la sensation d’accomplissement et de plaisir conséquente à la satisfaction de ses aspirations et désirs personnels importants. Cela peut éventuellement, en effet, être un bonheur par procuration, comme la joie profonde d’avoir satisfait les aspirations et désirs personnels de son maitre parce que l’esclave les considères importants pour elle-même et son accomplissement.

Mais le bonheur est un état qui n’existe sur la durée, sinon, c’est de la joie passagère, un plaisir qui ne dure guère. Or, l’entièreté du dressage, du conditionnement, de l’éducation et du traitement des esclaves, une fois vendues à un maitre, a comme moteur principal la privation des éléments matériels, sociaux, affectifs et intellectuels nécessaires au bonheur.

Une esclave ne possède rien, pas même son corps et son esprit et ne peut rien espérer garder, même pas son nom. Son histoire et ses savoirs sont effacés dès lors qu’elle est asservie ou change de propriétaire : on n’a aucune raison d’en tenir compte. Sa vie personnelle est dictée par l’inconfort et l’absence de stabilité : elle dort dans une cage étroite ou sur une paillasse dure, elle mange du gruau insipide, est toujours court-vêtue ou nue et aucune importance si elle a plutôt froid, passe une bonne partie de son temps attachée et doit vivre en sachant que même son hygiène ou ses besoins naturels ne se feront dans aucune forme d’intimité. Ses émotions et ses états d’âme n’ont aucune valeur, il lui est interdit d’être triste si on exige qu’elle soit joyeuse et elle sera châtiée sévèrement si elle ne peut obéir ; quant à ses désirs intimes, elle est forcée de les exprimer sans rien cacher, mais sans que ceux-ci n’aient la moindre valeur aux yeux de son propriétaire, s’il en décide ainsi, et qui exigera cependant de les connaitre et la punira de les cacher. Elle risque à tout moment la colère et les coups de son maitre ou d’un autre libre et ce même si c’est sans raison et peut être touchée, manipulée ou violée à tout instant sans se soucier de ses propres désirs ou émois. Elle sait aussi qu’elle peut, du jour au lendemain, être échangée, donnée, prêtée ou vendue, ou encore enlevée, donc, perdre tout acquis spirituel ou émotionnel et social, et ce sans avoir la moindre prise sur ce risque. Et enfin, elle sait qu’elle peut souffrir ou mourir à chaque instant, ses blessures ou sa mort n’ayant qu’une faible valeur et un impact quasi nul ; il suffit pour cela de faire une maladresse de trop ou de déplaire à qui il ne fallait pas, même de manière totalement accidentelle, juste en traversant la rue. Et pratiquement aucun conditionnement, aucune nature psychologique ne peut rendre ce mode de vie, cette situation matérielle et spirituelle dégradante et animalisante, non seulement normale, mais plaisante et apte à susciter le bonheur.

En gros, une esclave ne se définit par rien qui puisse lui être personnel. Même pas l’espoir d’’une vie meilleure : les esclaves vraiment choyées, selon les propres termes de Norman, sont très rares et ne le restent pas longtemps. Il suffit de déplaire à un mauvais moment et tout est perdu. Quant à l’espoir d’une vie libre, il n’est même pas illusoire : il est littéralement impossible. Et on ne parle même pas d’un dernier espoir commun à tous les êtres vivants : enfanter et voir ses enfants grandir. Les esclaves ne sont jamais autorisées à élever leurs enfants qui, qui plus est, connaitront exactement le même sort qu’elles. J’insiste bien, une esclave n’a aucun espoir tangible. Celui d’aimer, finalement, et d’être aimée de son maitre, est même un piège et un faux-espoir cruel, car plus une esclave aime son maitre et plus ce dernier l’aime, plus il sera dur, brutal, injuste, impitoyable et cruel. Et – et c’est encore un exemple des romans – s’il n’y parvient pas, il la vendra afin de couper court à cette faiblesse.

Sans espoir, sans rien qui puisse définir une quelconque satisfaction de ses aspirations et désirs personnels importants, sans aucun confort matériel, affectif ou intellectuel, il n’y a aucun bonheur possible. Il y a seulement des joies passagères, à laquelle la kajira se raccroche et des espoirs de faible durée et de faible ambition pour passer d’une joie passagère à une autre. Mais le reste du temps, une kajira ne peut pas, sauf exception et j’insiste bien là-dessus, être heureuse. Elle vit dans une peur constante et tout au plus est-elle simplement résignée à son sort et essaye de le vivre en trouvant, à travers des succédanés temporaires, de quoi ne pas trop sombrer dans le désespoir.

Et pour celles de ces kajirae qui vivent les sorts les plus misérables, c’est-à-dire la majorité, il ne faut pas rêver : elles sont dévorées par la terreur, la peine et la résignation ; leur vie est courte et tôt ou tard elles finissent par préférer la mort… ou la provoquer en se révoltant, même inconsciemment.

2-3 L’abnégation

Selon Norman, le conditionnement des esclaves et leur découverte du bonheur d’être totalement soumises à la volonté des hommes, sans aucune retenue, leur animalisation qui fait d’elles de « véritables femmes » les conduit tout aussi naturellement que la dévotion à l’abnégation.

Alors, l’abnégation est une vertu religieuse, à la base, qui consiste à renoncer totalement à soi, à abandonner toute idée de bénéfice personnel dans le seul désir de servir le bien commun. Ok… Ici, c’est l’idée que le plus cher désir d’une esclave est de plaire, chose qui lui est martelé profondément pendant son dressage et son conditionnement.

Sauf que là encore, c’est un faux-semblant ! Une esclave ne veut pas plaire parce qu’elle a abandonné tout profit personnel pour servir les maitres ! Car elle n’a rien abandonné, on lui a tout arraché de force et anéanti tout espoir de posséder quelque chose matérielle, intime ou personnelle que ce soit ! Elle le fait pour survivre, parce qu’une esclave qui ne plait pas est détruite ! (Oui, les goréens ne disent pas tuer, parce qu’on ne tue pas une chose, on la détruit, et ce même si la kajira est considérée comme un animal… encore un paradoxe idiot). Elle peut éventuellement finir par vouloir plaire à son maitre par dévotion, mais comme expliqué plus haut, la dévotion, ça ne se crée pas sur commande, loin de là. Et le but technique final de plaire, ce n’est pas juste plaire : c’est espérer ne pas être châtiée, et d’espérer éventuellement recevoir une friandise ou se faire sauter (et dans ce dernier cas, espérer – souvent vainement – que ce soit agréable). Ce qui n’est pas du tout de l’abnégation, n’est-ce pas ?

L’abnégation ne peut pas exister chez une kajira… parce qu’il faudrait qu’elle possède quelque chose pour l’abandonner volontairement et y renoncer. Or, elle ne possède rien, même pas sa liberté d’action et en général même pas sa liberté de penser. C’est pourtant un point qui semble évident pour Norman, sans qu’il n’y voit de paradoxe. Est-ce qu’il existe cependant des kajirae dévoués jusqu’à l’abnégation ? Non. Clairement, non. Car toutes leurs actions sont vouées principalement à éviter le risque de souffrir ou de mourir et d’avoir une petite chance de connaitre un jour de plus à peu près moins inconfortable que le précédent. Toutes les actions des kajirae sont faites dans le but de vivre un jour de plus et essayer de trouver un peu de stabilité et de confort dans une situation de vie chaotique et volontairement maintenue inconfortable au possible.

L’abnégation est une décision volontaire, grave et personnelle, lourde de sens et qui ne peut se prendre qu’en l’absence de contraintes contextuelles. Bref, tout ce que n’est pas et ne peut jamais être une kajira.

2-4 L’amour

Vaste sujet, qui s’apparente à la dévotion ci-dessus, mais reste plus compliqué, principalement parce que Norman, de toute évidence, n’a aucune idée précise de ce qu’est ce sentiment. Une kajira peut en effet aimer un maitre, et inversement. Selon les principes de Gor, c’est même le seul amour véritable et sans faux-semblants, puisqu’un homme ne peut aimer librement et sans contrainte qu’une esclave docile et soumise à ses moindres caprices, qui lui appartient, et ce, sans avoir aucun compte à rendre à personne et avant tout pas à son esclave, qu’il peut traiter comme il l’entends.

Moi, j’appelle cela aimer un chien. Et c’est pire, en fait, puisque dans l’esprit goréen, il s’agit d’aimer un chien dont on se débarrassera s’il devient trop encombrant socialement ou psychologiquement. Je pense que j’aime mon chat bien plus fort que le goréen moyen décrit par Norman n’aime son esclave. Et moi, je ne tabasse pas mon chat, je ne l’enferme pas en cage la nuit, je ne lui mets pas de laisse, je ne le prête pas et je fais très attention à m’assurer qu’il aime vraiment ce que je lui donne à manger.

L’amour des goréens pour les esclaves, c’est l’amour d’un humain rustre, égoïste, brutal et grossier pour un chien dont il peut se débarrasser s’il est dérangé, qui lui sert de souffre-douleur et dont il ne veille sur la santé que parce que c’est un bon chien, qui fait bien ce qu’on lui ordonne et remue la queue de son amour inconditionnel de chien quand il voit son maitre, même s’il est régulièrement maltraité. Il y a bien entendu des exceptions, et Norman l’évoque. Mais justement, ce sont des exceptions. Et ça, tous les goréens le savent et le constatent de visu.

Norman explique clairement que plus une esclave est amoureuse de son maitre – et il le sait, une esclave ne peut rien cacher, donc soit elle lui a montré, soit elle a été forcée de lui dire tout, sans secrets – plus elle est soumise à une discipline intense et un traitement difficile. Plus elle aime, plus elle est maltraitée et tenue dans un asservissement rigoureux et cruel. C’est, selon Norman, et en considérant les causes sociales, un moyen pour le maitre de montrer qu’il n’a aucune faiblesse, la preuve, vous avez vu comment je traite mon esclave si amoureuse qu’elle pleure de joie à simplement pouvoir me regarder ou me frôler ? Mais fondamentalement, si le maitre est amoureux lui aussi, il est spécifié qu’il est plus rigoureux et dur encore. Vu comment sont traités de base les kajirae, je n’appelle pas ça être dur : j’appelle ça être sadique, physiquement et psychologiquement. J’appelle cela de la démonstration de perversion narcissique, ou pour résumer : une torture. Bref, pas de l’amour. D’autant que celui qui sent qu’il devient faible et trop amoureux, revend sa kajira pour régler le problème.

Bref, comme dit plus haut, l’amour est un piège horriblement cruel pour une Kajira. Un piège qui détruira tout espoir ou envie de recommencer après y être tombé une fois. Là encore, soit la kajira se ferme émotionnellement et essaye de survivre en enterrant toute émotion amoureuse, soit, elle finit par se suicider, directement ou indirectement.

2-5 La sécurité

Est-il besoin d’y revenir ?… Norman en parle, et souvent ses romans se finissent par une kajira béate et heureuse qui se satisfait pleinement de son sort, en sécurité et se considérant choyée (en fait, en général juste considérée, et rien de plus… et encore, hein… faut pas trop creuser).

Les kajirae auraient la sécurité : elles sont vêtues, logées, nourries, protégées, soignées. Sauf que… Elles sont mal vêtues, elles dorment peu et sur des paillasses ou dans des cages, sont nourries de gruau infâme et de restes en portions limités, sont protégées uniquement au sein de leur maison, et seulement de dangers extérieurs, puisqu’elles peuvent être battues sur n’importe quel caprice, et ne sont soignées que parce que leur existence représente un investissement qu’on veut faire durer et seulement si on a les moyens ou le désir d’investir dans ces dépenses.

Et bien sûr, tout cela contre leur gré et aux mépris de leurs aspirations. On veut mettre une kajira à poil, elle le sera. On veut la faire maigrir ou grossir, elle subira le régime. On veut la faire dormir nue dans le froid, juste parce qu’elle a renversé un fond de lait, pas de problème. La protection n’est que relative, puisque sa vie dépend des caprices des libres. On peut la battre, la molester, la violer, et si elle est blessée ou tuée, hé bien ce n’est qu’un dédommagement à payer au propriétaire. On peut bien sûr la prêter, la donner, la revendre, reprendre ses bijoux, ses vêtements, ses affaires, lui interdire de parler, de se lever, de bouger à l’envie. Elle n’est qu’obéissance et devoirs.

Bref, une kajira n’a aucune sécurité. Même être parfaite et plaire à son maitre peut lui porter préjudice de mille manières. Elle pourra susciter la jalousie assassine d’une consœur moins considérée, ou de la maitresse de maison délaissée, être la cible d’un voisin vengeur ou périr lors d’un jeu érotique trop violent avec des amis avinés de son maitre. Aucun effort d’une kajira de s’assurer de sa sécurité par la perfection de son comportement n’a la moindre chance de lui promettre une quelconque sécurité. Elle est en permanence sur le fil et sait que sa vie peut basculer dramatiquement d’un instant à un autre, même sans avoir commis la moindre erreur.

Je tiens à rappeler que les 34 romans de Gor sont émaillés d’esclaves qui perdent la vie ou finissent mutilées ou détruites, avec force description et aussi peu d’empathie quant à leur sort que si Norman parlait d’abattage de poulets. Il y en a plusieurs par romans, insistant parfois à la nausée sur l’aspect parfaitement normal et admis socialement que la vie d’une esclave ne vaut rien et que toute erreur peut se payer par la mort. Sans compter les esclaves tuées ou détruites par simple jeu ou caprice ou juste par accident, car s’il leur arrive quelque chose, on ne va pas prendre de risque pour une esclave, hein. Aussi bien, et quand on considère simplement le taux de perte acceptables pour les goréens de captives pendant le dressage et d’esclaves pendant les transports, on réalise qu’il est impossible pour une esclave, qui sait forcément tout cela, car elle en est témoin, d’abonder en une quelconque idée que son sort peut s’avérer une situation sécurisante et sans risques. C’est juste totalement absurde.

2-6 L’honnêteté

Selon les principes de Gor, une esclave n’a non seulement pas le droit de mentir – sous peine de mort, hein ! – mais elle n’a pas, non plus, le droit de cacher la moindre de ses pensées, sentiments ou réflexions sous peine de châtiment. Et, selon Norman, les kajirae sont des créatures mesquines, malicieuses, subtiles et rusées… mais qui ne peuvent pas mentir, ni tricher, ni cacher la moindre vérité. Et dont la parole ou le témoignage n’ont cependant aucune valeur. Ce point est important, puisque toutes les esclaves le savent. C’est un peu un blanc-seing pour tout ce qui va suivre.

J’ai très envie de rire, bien que ce ne soit pas drôle, tant cela est frappant de naïveté. Commençons par le plus évident : dès qu’une esclave ouvre la bouche, elle doit surveiller le moindre de ses propos et veiller à ce qu’aucun d’entre eux ne vienne froisser un libre, qu’il soit son propriétaire ou non. De plus, tout libre exige de l’esclave qu’elle répondre exactement ce qu’il attend afin de lui plaire et rien d’autre. Il n’attend pas la vérité, ni la sincérité : il attend que l’esclave lui plaise.

Donc… d’une part, si une kajira fait une bêtise que personne n’a vu et qu’elle peut dissimuler, elle va rapidement apprendre à le faire et surtout apprendre à ce que cela ne se voit pas. Et là encore, aucun conditionnement ne sera jamais assez puissant pour l’empêcher d’apprendre à tricher. Pourquoi ? Parce que sa propre existence en dépend ! D’autre part, une kajira qui se sent mal, qui est dégoutée, malheureuse ou effrayée, va très vite apprendre à ravaler ses sentiments pour afficher une façade parfaitement conforme à ce que les libres attendent de sa part pour leur être plaisant. Elle va apprendre à dissimuler la vérité sur ses émotions et ses ressentis. Et, enfin, une kajira n’ayant pas la moindre latitude pour juger ou donner un avis sur une personne libre, va très vite apprendre à mentir et esquiver à ce sujet, et ne sera donc jamais sincère sur ce point.

J’insiste, encore une fois : vous pouvez conditionner quelqu’un aussi violemment et puissamment que vous le voulez, l’animaliser au possible et réduire sa volonté et sa personnalité à néant, ce qu’un chiot sait faire dès l’âge de trois mois, une kajira apprendra à le faire pratiquement dès la fin de son conditionnement, et ce, même si vous êtes persuadé du contraire. Cacher des émotions, faire croire à de fausses émotions, mentir par omission, esquiver une réponse, ne répondre que par l’attendu d’un interlocuteur, surtout quand on sait que toute mauvaise réponse, même honnête et sincère, peut conduire à un châtiment cruel et à un risque vital, c’est un instinct de survie ancré chez tous les animaux.

Et les kajirae sont, et ce n’est pas moi qui le dit, mais Norman, des animaux dressés ! Dès lors, le mensonge, la tricherie, la dissimulation et le faux-semblant sont totalement communs chez les esclaves. Celles qui en payent le prix fort sont juste celles qui sont allées trop loin ou n’ont pas su correctement s’en sortir. Une esclave n’est jamais ni honnête, ni sincère. Parce que cela la tuerait. Et si elle flatte un libre, ce n’est sans doutes pas parce qu’elle le pense, mais parce qu’elle espère ainsi lui plaire et éviter d’être punie et de risquer des coups.

2-7 La liberté sexuelle

Selon Norman, tout le bonheur, l’aspiration et le désir de vivre des kajirae tient dans leur liberté totale d’être féminines : id est, et j’emploie ses propres mots, d’assumer d’être des putains (« slut » en anglais) avides du sexe des hommes et du plaisir sexuel. Leur liberté tient au droit d’exprimer toute l’animalité de leurs désirs et de leur érotisme et d’en retirer du plaisir sexuel.

Sauf que… Il y a un autre mot que Norman emploie à outrance pour parler de la manière dont les goréens utilisent leurs esclaves : ils les violent. Le terme revient très souvent, c’est même le mot principalement utilisé pour parler d’une relation sexuelle.

Les goréens prennent leurs esclaves quand bon leur semble, aime le faire n’importe où, y compris en public, au point que lors des festivités, il y a des chevalets d’esclaves en libre-service sur les places pour attacher et sauter sa kajira ou la laisser offerte pour le plaisir de ses voisins. Les chefs, les leaders et les meneurs d’hommes offrent leur esclave à toute leur troupe pour qu’ils fassent la queue pour la violer les uns derrière les autres. Et ils vont même jusqu’à élever des kajirae maintenue dans l’ignorance totale des hommes jusqu’à leur 15ème années, où elles sont offertes nues à un groupe de joyeux et riches fêtards pour un viol collectif, découvrant la nature masculine de la manière la plus horrible. Ces dernières, d’ailleurs, sont ensuite détruites, puisque leur esprit a cédé devant la violence de leur première expérience qu’on imagine abominable.

Voilà, pour bien recadrer ce qu’est la liberté sexuelle des kajirae : celle de se faire violer au gré des libres et de leurs caprices, sans se soucier de leurs désirs, émois et envies. Bien sûr, elles sont préparées à cela, c’est-à-dire à l’endurer et à considérer, même, cela comme la seule expérience sexuelle qui leur est accessible. On peut se dire que tous les goréens ne sont pas si bestiaux, mais dans ce que décrit Norman dans les romans, non seulement c’est la grande majorité, mais c’est parfaitement normal et c’est tout à fait ludique pour les hommes ! Ainsi, à Ar, les jeunes étudiants de haute caste font-ils des raids par grands groupes pour acculer et attraper toutes les esclaves qu’ils trouvent et les violer en groupe. Certaines ne s’en remettent pas et seront donc détruites, mais ces hautes-castes peuvent assumer le dédommagement aux propriétaires.

Une esclave ne choisit ni quand elle peut être prise, ni comment, ni si elle aura du plaisir ou pas – et un viol brutal, coté plaisir, c’est zéro. Elle peut supplier d’être utilisée par son maitre, mais s’il tire son coup en trente secondes et se barre en la laissant avec son orgasme en plan, eh bien, c’est la vie de kajira ! Et là encore, comme mentionné dans les romans, les goréens châtient vertement une esclave qui aurait l’audace de se donner du plaisir toute seule ! Ils les conditionnent même à ne pas pouvoir pratiquer d’onanisme.

En gros, la liberté sexuelle des Kajirae, c’est le droit de se faire violer quand les libres ont envie de tirer leur coup ou s’amuser. C’est le devoir de le subir, et parfois c’est même toute leur vie, comme les esclaves de taverne à paga ou de bains, ou encore certaines esclaves d’exposition dans les jardins des plaisirs. Ce n’est pas une liberté et les libres ne s’intéressent pas au plaisir qu’elles peuvent prendre. Voire même et pire encore, une esclave qui n’aurait pas montré prendre du plaisir après avoir été sauté par son maitre peut-elle être sévèrement châtiée !

Personnellement, je n’ose imaginer les souffrances, les dégâts physiques et la durée de vie écourtée de ces malheureuses créatures qui se font pilonner par des monstres de virilité qui n’ont, sauf exception, aucune délicatesse ni aucune attention dans leurs actes sexuels, pourvus qu’ils prennent leur pied. Une fille à pièces ou une fille a paga doit finir détruite physiquement et émotionnellement en une poignée d’années. Et donc finir détruite, tout simplement, car inutile, et jetée dans le premier trou à ordures venu.

Il s’avère donc qu’il n’y a que dans les fantasmes malfoutus de Norman qu’il est réellement possible d’imaginer que les kajirae puissent considérer cette liberté sexuelle comme une liberté. C’est un fardeau de leur dressage. Conditionnées à avoir besoin de sexe, elles ne le sont pas pour y trouver du plaisir elle-même, mais seulement pour être disponibles à tout moment et, surtout, ne pas se débattre quand on les viole, y compris brutalement et y compris à plusieurs. Et leur plaisir est totalement secondaire.

2-8 La fierté d’être esclave

Norman décrit très souvent des kajirae intensément fières de porter leur collier, fières de leur féminité exacerbée, de leur liberté d’être elle-même et de leur liberté sexuelle et ce, quel que soit leur « rang » social. Elles peuvent être traitées comme des princesses ou des pouilleuses, cela ne change rien, une esclave prétendue épanouie est fière, voir arrogante.

Fière de quoi, monsieur Norman ?

Parce qu’après avoir lu tous les points précédents, vous saisirez pourquoi je ne vois pas de quoi l’esclave peut-elle être fière pour elle-même ? Tout ce qu’est une esclave lui a été imposé à force de lavage de cerveau, de coups, de discipline cruelle, de menaces de mort, d’humiliations, d’avilissement et d’animalisation. Une fois dressée, elle ne se voit plus que comme un chien (et encore, pas un chien bien traité et épanoui).

On peut se dire qu’elle va découvrir la fierté pendant son éducation : elle va découvrir son corps, aimer sa nature d’esclave, aimer sa beauté, aimer plaire, apprendre à marcher, danser, masser, servir, donner du plaisir… Mais tout cet entrainement se passe via une discipline cruelle et sans humanité : apprendre vite ou mourir, c’est le principe, en gros. Il n’y a rien dans tout ce conditionnement et ce dressage qui ne passe par le concept de maintenir l’esclave avilie et animalisée, pour qu’elle perde tout espoir d’être une personne. Il n’y a rien qui puisse créer de fierté en soit !

Sauf, et c’est là qu’est le paradoxe, en obligeant l’esclave à être fière d’être réduite à l’état d’objet sans droits, dont la vie sera un péril permanent sans une once de sécurité, c’est-à-dire en la conditionnant à être fière de ce qu’elle est devenue, dans l’espoir qu’elle le vive à peu près ainsi bien. Ce qui ne doit pas tenir bien longtemps. La fierté des esclaves est un autre faux-semblant, une façon pour l’esclave de se redonner un peu de dignité en se raccrochant à quelque chose qui, qui plus est, ne lui appartient pas et qu’on peut lui retirer en la châtiant d’être trop fière et en la dégradant, même aux yeux des autres esclaves.

Bref, là encore, quelque chose qui est une création fantasmée, qui ne repose sur aucune base tangible autre que l’envie de Norman de croire que la vie d’une kajira peut la satisfaire si bien qu’elle en serait fière, ce qui est structurellement non seulement impossible, mais qui peut lui faire courir de grands risques, si jamais elle venait à l’être, en effet. L’immense majorité des kajirae n’ont, au contraire, aucun moyen ni aucune raison d’être fières de ce qu’elles sont. Elles ont bien trop consciente de la nature abjecte de leur sort pour en tirer quelque gloire.

3- Le désir d’être esclave

S’il y a bien une chose qui me fait profondément soupirer de dépit, c’est l’idée, que Norman scénarise souvent, qu’une femme libre, une fois asservie et même pas encore dressée, découvre soudain à quel point elle souhaitait être esclave et à quel point son bonheur est fait.

Je me dis à chaque fois : elle vivait sous bulle, la femme libre ou bien ? Il y a vraiment des femmes libres qui rêvent d’être esclaves alors que leur vie sociale et leur environnement leur démontre par le menu à quel point c’est une vie misérable, avilissante et courte ?

S’il y a bien des femmes libres malheureuses dans leur vie étriquée et prisonnière dans un monde affreusement oppressif, s’il y a bien des femmes libres de nature très soumises (presque toutes les goréennes portent peu ou prou la soumission aux hommes en elles, c’est un paradigme du monde de Gor), il est cependant évident que, sauf à n’y rien connaitre et ne rien savoir sur le sujet, ce qui est structurellement impossible dans le monde de Gor, elles sont toutes au fait des conditions de dressage et de vie des esclaves. Qu’il s’agit de se retrouver soumise à des traitements dégradants et inhumains, avilissant et destructeurs, les effaçant de toute existence sociale ou légale. Qu’elles deviennent dès lors des marchandises, ni plus ni moins, et traités avec pas tellement plus d’égards que des cochons ou des vaches (et parfois moins).

Dans le monde de Gor, nombre de femmes de pouvoir, de prestige et d’autorité permettent de comprendre que, pour les goréens, la valeur d’un individu libre ne dépend que peu de son sexe, sauf à la guerre. Il y a des femmes ubars qui commandent des légions, d’autres cheffes de caste ou administratrices, il y a des toutes-puissantes tatrix et des marchandes cheffes de famille richissimes. Il y a même des esclavagistes femmes… qui dressent aussi des femmes, y compris comme esclaves de plaisir !

La femme libre goréenne est considéré avec grands respect par les hommes. Ok, les lois sont pour eux et ils restent les maitres. Mais ils ne s’avisent pas d’agresser une femme libre de leur cité et ces dernières peuvent très bien les engueuler, voir les gifler en réponse à une offense caractérisée. Et que font les autres hommes ? Ils se moqueront de celui qui a manqué de respect à une femme et un tribunal donnera raison à la femme. Oui, je n’invente rien. Bien sûr, hors des murs d’une ville, c’est une autre histoire et là, plus d’hommes de sa cité et de lois… et ça craint de suite pour la femme libre qui voudrait la ramener.

Mais donc, si la femme libre a une nature soumise aux hommes, elle n’en est pas moins fière, solide, en général dotée d’une liberté assez large (seules les plus malchanceuses des femmes de riches familles et de haute-caste passent leur vie entre quatre tristes murs) et relativement maitresse de son destin. Oui, elle a peu de chances de connaitre le grand amour romantique des poètes. Oui, elle a aussi peu de chances de vivre le grand pied sexuel.

Mais la vie, c’est autre chose que ces deux points. Si pour avoir cela, elle désire ardemment le collier et va jusqu’à perdre sa liberté volontairement, c’est que, d’une part elle est aveugle ou stupide, d’autre part, sa vie est véritablement un désastre ou un enfer personnel. Ce qui peux arriver ! Mais de toute évidence, contrairement aux assertions que laisse conclure Norman, c’est forcément très rare ; il faut réunir ces deux points pour en arriver là. Les femmes libres ne peuvent pas désirer un sort aussi monstrueux et inhumain que finir esclaves ; ce ne peut être qu’un dernier recours désespéré au suicide, ou la marque profonde d’une naïveté coupable doublée d’une ignorance totale de ce qui l’attend, ce qui dans le monde de Gor, est presque impossible à imaginer.

Bref, oubliez ces assertions et fantasmes de Norman, eux aussi. En tenant compte des conditions et des descriptions de la vie des kajirae, son idée n’est même pas romantique : elle est débile.

4- La plénitude dans la soumission

Norman s’est toujours défendu d’avoir été inspiré par le monde du BDSM et du fétichisme. Ce à quoi je réponds d’une part : mon œil, car cela se voit de manière toujours plus frappante au fil des 34 romans et encore plus dans son essai « imaginative sex » et ce à quoi je rajoute que, d’un autre côté, il a raison sur le fond, même s’il ne le fait pas exprès et semble souvent se persuader du contraire : aucune soumise, même esclave volontaire 24/7 (toute la journée, toute la semaine), ne supporterait ou n’accepterait un vingtième du sort d’une kajira sans fuir en hurlant.

Ceci dit, ne jurons de rien. J’ai moi-même navigué dans le milieu fétichiste et BDSM, dans sa version consensuelle, plaisante, amusant et pour tout dire joyeuse, mais, même ainsi, cette expérience passionnante m’a ouvert les yeux sur la variété des désirs et fantasmes profonds enfouis chez les uns et les autres et, dans certains cas, ceux-ci sont si extrêmes que, fondamentalement, tout est possible. Le pire y compris. On n’a ni envie de le souhaiter, ni de le côtoyer, mais cela reste un fait.

Maintenant parlons de ce que Norman prétend, à travers ses romans et dans son essai « Imaginative Sex » très lié à la philosophie qu’il présente dans les romans de Gor, sur ce qu’il appelle la plénitude dans la soumission. Dans le cadre du BDSM (acronyme pour Bondage, Discipline, Soumission et Sado-masochisme), la relation dominant/soumis (qu’on acronyme par D/s) est au cœur du principe du jeu de l’échange de pouvoir.

Une personne soumise l’est de son plein gré : elle est soumise de sa propre volonté à UN seul Dominant qu’elle a choisi, et à qui elle a décidé de donner plus ou moins pleins pouvoirs. Pourquoi cette précision ? parce que dans toute relation D/s, les partenaires fixent les limites de cet échange de pouvoir. Par exemple, si vous n’avez pas envie de vous retrouver confronté à vos excréments pour quelque raison que ce soit, vous le dites. On ne va d’ailleurs pas vous en vouloir. Mais si vous êtes claustrophobe, pareil, vous fixez comme limite qu’on ne fera jamais de jeu d’enfermement dans un espace confiné, etc. Bref, quand la relation se noue, avant toute chose, un contrat est rédigé, souvent formalisé, stipulant les libertés et les limites de chacun l’un sur l’autre, Dominant comme soumis.  Il précise jusqu’où l’échange de pouvoir peut aller et à quel moment il s’arrête. Et ce contrat doit être respect à la lettre.

Quant à la personne soumise, elle peut, à tout moment, tout arrêter et retirer à son Dominant le pouvoir qu’elle lui a donné. Le Dominant et le soumis adaptent leurs jeux et leurs règles en commun ; quant au cadre social, dans les groupes fétichistes et BDSM, on demande au soumis d’avoir du respect, mais pas de l’obéissance, aux autres dominants. Enfin, et c’est le plus important, la personne soumise peut tout peut faire cesser quand elle le souhaite. Il lui suffit de dire « non ». Le Dominant n’a aucun pouvoir pour l’en empêcher ; cela signe souvent la fin de la relation, ou sa renégociation éventuelle. Mais le Dominant n’a de pouvoir effectif que celui que le soumis veut bien lui donner. Et c’est tout !

Il est donc ainsi établi et coutumier de dire que la relation D/s dans le monde du BDSM est un jeu de dupe. Celui qui a vraiment le pouvoir dans ses mains, ce n’est pas le Dominant. C’est le soumis. Car lui seul décide si le jeu de la relation commence et quand il va s’arrêter.

Maintenant, discutons un peu de la raison d’être de cette relation, ce qu’elle dissimule psychologiquement. Dans un cadre D/s, l’un et l’autre ont besoin de l’un comme l’autre. Le soumis confie une partie de sa vie et de sa liberté au Dominant pour profiter en retour d’une sécurité affective et psychologique. La force d’un mode de vie imposé, l’érotisme des pratiques sexuelles, permets de se libérer de frustrations et de névroses personnelles, souvent héritages d’un passé bien lourdingue, en pouvant s’appuyer sur quelqu’un pour les transcender jusqu’à s’en libérer. Dans une relation D/s, le sexe n’est pas si important. C’est l’érotisme, l’excitation intellectuelle et émotionnelle et les joies ludiques d’une contrainte librement consentie qui forme la base du plaisir, c’est-à-dire l’ensemble de cette plénitude dont nous parlons plus haut.

Quant au Dominant, il a souvent lui-même bien des poids personnels lourds à porter et un profond désir d’aider autrui, dans une relation particulière, intense, normée et affectivement stable. Il est en quelque sorte un fournisseur d’effet Pygmalion : il donne une autorité permettant au soumis de dépasser ses propres doutes et d’améliorer sa vie privée et sociale, jusqu’à l’accomplissement personnel et la stabilité et, en échange, il en reçoit la gratitude et la dévotion du soumis, qui construit son propre accomplissement de soi.

Bref, les deux recherchent la même chose, à partir d’histoires personnelles très différente, et vont le trouver, ou essayer de le trouver, à travers une relation de plénitude et de confiance complète, échangée totalement et librement. Oui, cela veut dire que, toute relation D/s a une fin… ou du moins un accomplissement qui, par la suite, réduit l’aspect BDSM à seulement une pratique ludique, et non une nécessité.

Dans tout cela, maintenant, on case comment la relation Maitre/esclave du monde de Gor ? Rien ne s’en rapproche ! Rien n’y correspond ou ne peut même s’y comparer et pourtant, aussi bien les afficionados fanatiques de Gor (les lifestyler, qui prétendent vivre comme la philosophie Goréenne de Norman) que John Norman lui-même à travers ses propos et essais, revendiquent un parallèle indiscutable.

Mais ça ne fonctionne pas ! Et ça ne peut même pas fonctionner. La plénitude dans la soumission implique qu’elle est consentie, appréciée pleinement, entretenue par une relation profonde et sécurisante, de confiance mutuelle complète et souvent d’amour, entre le Dominant et le soumis. Ça implique que chacun sachant qu’il peut perdre l’autre qui peut tout arrêter par simple décision, cette confiance mutuelle est entièrement basé sur la consensualité et la plus totale complicité. Et que chacun des partenaires fait des efforts constants et actifs dans le seul objectif du bonheur de l’autre. Et là en effet, il y a plénitude, il y a un bonheur puissant et durable ; et pour les deux, d’ailleurs.

Or, l’esclave de Gor est une propriété, un animal, une possession, soumise de force et sans aucun choix sauf la mort ; c’est simplement le rapport de force qui prime. La kajira ne choisit pas son maître, puisqu’elle est juste une marchandise. Elle ne choisit pas de le quitter ou non ; elle n’a simplement aucuns droits. Elle peut être donnée revendue, prêtée, volée, abimée, tuée, et rien n’est sous son contrôle : elle n’a aucun droit et aucun autre choix que de tenter de servir, obéir et plaire, pour rester en vie et essayer d’améliorer son sort.

Quant au maitre Goréen, il ne doit absolument rien à son esclave ; elle est sa chose, au même titre que son arc, son épée, son bétail… Par conséquent, l’esclave n’est pas en droit d’attendre quoi que ce soit de sa part, que ce soit tendresse, soutient, écoute, considération, respect, complicité ou amour. Seuls les efforts de la Kajira pour se rendre désirable seront récompensés ; et seulement si le maitre goréen daigne considérer ces efforts, et uniquement de la manière dont lui souhaite récompenser son esclave. Elle, elle n’a rien à dire.  L’esclave ne peut rien exiger, rien demander, rien espérer, sauf la mansuétude de son propriétaire et sa considération, toute relative.

L’esclave possédée par un maitre goréen lui doit tout, mais lui ne lui doit rien. C’est-à-dire exactement le contraire de toute relation D/s. C’est la peur de souffrir ou mourir par châtiment, si elle ne parvient plus à plaire, qui motive l’esclave, et non quelque désir profond, sincère et en toute confiance d’atteindre à la plénitude d’un échange relationnel intense et sécurisé.

Bref, confondre esclavage goréen et BDSM, c’est véritablement ne rien comprendre à la nature de la relation d’échange de pouvoir. Croire d’ailleurs que les deux peuvent se comparer est absurde. Norman a pioché dans le monde du BDSM les fantasmes qui satisfont des hommes avides de pouvoir et d’oppression, de domination totale et de liberté sexuelle au mépris des désirs et aspirations des femmes. Mais ces dernières, dans son idée et c’est bien ce qu’elles sont dans le monde de Gor, ne sont que des jouets, des outils et des objets de satisfaction sexuelle et érotique. Leur propre nature, leur psychologie, leurs aspirations, leurs espoirs et leur humanité sont niées et déclarées sans valeur. Leur vie elle-même n’est pas plus valorisée que celle d’un objet ou d’un bétail !

Donc, la plénitude dans la soumission si chère aux théories de Norman et de ses afficionados, vous pouvez l’enterrer : elle est vide de sens et absurde. Elle ne peut pratiquement pas exister et ne se base sur aucun des éléments contextuels nécessaires à son aboutissement. Une kajira veut juste rester en vie, vivre en relative sécurité et fait de son mieux dans un contexte totalement non-sécurisé pour y parvenir. Elle a autre chose à faire que de vivre une plénitude illusoire qui ne lui sera de toute manière jamais offerte.

5- Les esclaves d’élevages

Je soulève ce point, car tout ce que j’ai affirmé jusqu’ici peut, dans une moindre mesure, être tempéré en ce qui concerne les esclaves d’élevage, et les esclaves d’élevage uniquement. Pour résumer, en plus de la nature des femmes goréennes soumise naturellement aux hommes virils etc. tel que le paradigme du monde de Gor l’explique, les esclaves d’élevage sont des femmes (en grande majorité) élevées et sélectionnées depuis l’invention de l’esclavagisme dans le but de produire des esclaves dociles et dévoués.

En gros, même s’il n’y a pas de chronologie détaillée du monde de Gor, il y a environ 2500 ans que les goréens élèvent des génération d’esclaves de mère en fille, sélectionnant et triant les plus belles, les plus dociles, les plus dévoués et aimantes – et pratiquant quelques autres sélections exotiques dont j’ai déjà parlé par ailleurs. Un eugénisme très savant, qui a abouti à des esclaves avec des pédigrées précis, qui n’ont jamais connus autre chose que l’asservissement goréen depuis leur naissance, et ce depuis des générations. Je pense que pour le cas de ces esclaves, et ces esclaves uniquement, le conditionnement, le dressage et leur sélection eugénique sur un total de 125 génération a pu aboutir en effet à un résultat qui se rapproche des prétentions de Norman sur ce qu’il décrit comme la Kajira de Gor.

Mais ceci ne peut s’appliquer qu’à eux. Une femme libre goréenne a beau avoir une nature soumise, elle n’en reste pas moins de caractère et désireuse de sa liberté mais surtout, contrairement à ces esclaves d’élevage, elle est en parfaite mesure de prendre totalement conscience du sort avilissant et misérable qui attend une kajira. Elle, elle sait ce qui l’attends ; eux, ils n’ont pas connu autre chose et leur docilité naturelle doit être particulièrement profonde.

Quant aux terriennes enlevés pendant une acquisition, même si elles sont bel et bien sélectionnées par un procédé long et rigoureux avant d’être enlevées par les agents des Prêtres-Rois sur Terre (j’en parlerais dans un prochain article), il est évident qu’elles ne sont en aucun cas assez dociles pour accepter le bonheur d’être réduites à l’état d’animal avili et de marchandise sans résister le plus possible. Les terriens ont une notion de liberté individuelle profondément chevillée au corps, bien trop, désolée Norman de casser tes fantasmes, pour trouver bonheur et plénitude dans un asservissement aussi profondément abject et inhumain que celui des Kajirae de Gor.

6- Conclusion

Bon, voilà, j’ai bien défoncé le mythe. J’ai souvent vu sur Second Life, ou sur des sites consacrés au monde de Gor, des thèses sur la nature profonde et intensément psychologique de l’asservissement et de l’esclavage de la kajira Goréenne. J’ai réalisé, au fur à mesure que je lisais ces thèses et les romans, que je n’y voyais rien qui confirmait ces thèses mais, au contraire des paradoxes profonds entre la prétention de ces thèses, souvent reprises des indigestes justification moralisatrices du point de vue de Norman, et la réalité du contexte de l’esclavage et du traitement des esclaves tel qu’il le décrivait lui-même dans ses aventures. J’ai donc décidé de confronter le mythe de Norman à ses propres écrits sur la manière dont les kajirae vivent dans son univers. Et, oui, ça fait mal. Le mythe explose même en plein vol et ne résiste pas une seconde aux faits.

Car ici, ce sont les faits de sa fiction qui importent, avant ses théories et justifications. Le sort des esclaves dans le monde de Gor réduit à peu de choses leur espérance de vie dans la grande moyenne. Les esclaves âgées n’existent presque pas ; elles n’ont que peu l’occasion de vieillir.  Les pratiques, coutumes, traditions et manières de traiter les esclaves, communes à tous les goréens, les condamnent à mort assez rapidement, soit par épuisement, soit par folie, soit par déséspoir… ou simplement pour avoir commis une erreur ou un impair au moment où il ne fallait pas. C’est un sort dont aucune femme ne peut vouloir. Elles sont des objets, consommables, pour le plaisir et les caprices des hommes. Des jouets, qui finissent par casser. Et ainsi, toutes les prétentions de Norman sur la nature des kajirae et leurs traits principaux de personnalité ne tiennent pas longtemps, opposés à ses propres écrits sur la manière dont les goréens les traitent.

Le fait est que sur les sims de jeu de rôle de Gor sur Second Life, les esclaves sont jouées par des joueurs, qui n’ont pas trop envie qu’on traite leurs personnages ainsi, avec des joueurs jouant des personnages d’hommes et femmes libres qui n’ont pas trop envie de traiter les esclaves ainsi. Si le fond des relations et pratiques des goréens avec les esclaves est relativement respecté, dans la forme, bien des pratiques sont mises de côté, pour des questions de plaisir mutuel de jeu, de respect mutuel des joueurs, et de fair-play. Et c’est tant mieux !

Mais ainsi, il vous sera peut-être moins facile d’affirmer, sans vous questionner, que la nature des kajirae de Gor est celle que Norman prétend. Finalement, les esclaves tout à la fois dévouées, heureuses, amoureuses, rassérénées, sincères et honnête et, enfin, comblées sexuellement, ce n’est peut-être bel et bien pas du tout la norme, mais clairement l’exception.

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