HumeurRien à voirUn dessin par jour

Je suis une geekette, et il y en a plein.

Des fois où vous ne l’auriez pas remarqué. Je dis ça, parce qu’aujourd’hui, c’est la Journée  Internationale du Droit des femmes (une date dont l’histoire est fort sulfureuse, plus héroïque, et aussi nettement moins glamour que vous le croiriez), et parce que dans le vaste monde des ludophiles, des video-gamers, des rôlistes et des fans de l’imaginaire de tous les acabits, il semble que les geekettes -j’adore le terme- soient encore trop souvent vues comme des aliens, voir avec autant d’étonnement qu’apercevoir le Cerf Blanc.

Messieurs, ceusse parmi vous qui ne seraient pas au courant, je vais casser vos illusions : des geekettes, y’en a plein.

Pire! Il y a même des geeks gay, des geekettes lesbiennes, une tripotée de geeks transgenres, des geeks de toutes les couleurs, et surtout, incroyablement, les geeks en général s’en contrecognent !

Je soupçonne que si on faisait un sondage dans la population des geeks à grande échelle, on se rendrait compte que leur rapport au genre, à la liberté sexuelle, à la construction de l’unité familiale et tous ces charmants débats-paravents actuels dont la politique française nous a tartine, et nous ressert encore jusqu’à écœurement indigeste de la confiture de basse qualité, pourrait se résumer simplement: tant que cela conduit à être heureux, et rendre heureux, ils se foutent bien de savoir comment.

Mon dieu, les geeks seraient permissifs, prônerait une totale égalité de genre, et une société ouverte à toutes les différences ?

Oui.

D’accord, pas tous. Mais oui.

Mais pourquoi je vous parle de ça, quand on parle de la Journée Internationale du Droit des Femmes (Et PAS la Journée de la Femme, connards !) et que je suis une geekette?

Parce que ce n’est pas si simple non plus et que cela n’a pas non plus été exactement facile pour la gente féminine dont je suis représentante. Personnellement, mis à part quelques mésaventures malheureuses dans ma carrière de rôliste, et d’illustratrice, j’ai peu à me plaindre. J’ai surtout constaté que cette ouverture d’esprit, dont je parle plus haut, ne s’est pas du tout faite d’un claquement de doigts, et est encore à faire dans certains milieux. C’est marrant, ici je pense tout de suite aux gamers pour qui les rapports hommes-femmes sont aussi fantasmés dans le ridicule que la valeur de leurs exploits virtuels. A toutes choses égales, ils ne sont cependant pas les seuls à avoir l’esprit aussi coincé qu’un militant de Famille pour Tous.

Mais il a fallu du temps, depuis les années 80 – oui, j’ai commencé tôt, je ne suis pas ludosaure pour rien- pour que ce milieu s’ouvre un peu à autre chose qu’un cercle fermé fort masculin. Je me rappelle de mes années de lycée et de mon club de JDR en Corse ; on parle ici du début des années 90. Y trouver une fille faisant du jeu de rôle et participant au club, tenait du statistiquement improbable. Gag magistral, c’est en initiant à notre activité favorite un club de troisième âge enthousiaste, que j’ai vu jouer ma première fille rôliste. Elle se prénommait Thérèse (ça ne s’invente guère) avait 71 ans, et je vous dis pas l’enquêtrice de l’Appel de Cthulhu qu’elle nous a incarné, planquez-vous, elle arrive!

C’est au milieu des années 90 tandis que je vivais à Nice que j’ai commencé à voir des rôlistes de tous les bords (voir plus haut). Avec, toujours pourtant cette claire tendance de certains cercles à regarder avec étrangeté l’arrivée de femmes dans leur groupe, et un évident mal-être, qui s’exprimait soit d’une manière amusante, voire touchante -c’est drôle de voir de jeunes gens rivaliser de chevalerie et de galanterie- soit de façon clairement hostile et sexiste. J’en garde deux expériences désagréables datant de l’époque, qui me valurent d’exploser assez bruyamment, n’étant pas vraiment d’un naturel à la garder bouclé. Mais, en même temps que l’arrivée de Magic The Gathering, jeu de cartes à collectionner, et ses héritiers, tellement nombreux que je vais pas tenter de les citer (Vampire la Mascarade en jeu de cartes ne fut pas le dernier), nous vîmes une invasion de geekettes se découvrant une passion pour les jeux, les univers de l’imaginaire, les jeux de rôle grandeur-nature, et le plaisir enfin de se tenir égal à égal avec les mecs dans une activité où elles pouvaient tout aussi bien se lâcher, qu’afficher des bolloques aussi grosses que celles des mecs ; à eux de devoir rivaliser à armes égales sur ce terrain qu’elles conquéraient avec joie et sans autre objectif que de s’y amuser.

Moi, à cette époque, j’avais déjà quelques expériences professionnelles dans ce domaine, qui ne firent que se confirmer plus tard. Je constaterai avec le recul, que jusque vers 2005, Il y avait toujours de la part de mes interlocuteurs un étonnement complet à tomber sur UNE illustratrice ou encore collaboratrice à tel ou tel jeu. Surprise qui ne durait jamais trop, et passait assez vite et dans de bonnes conditions –sauf dans le milieu du jeu vidéo, encore une fois ; là c’était plutôt la guerre ouverte. Cependant, être une femme, et être fan d’Everquest, leader de raid à World of Warcraft, collaboratrice d’un MMORPG ou de tel ou tel JDR, ou meneuse de jeu à Star Wars, Mage, ou encore Cyberpunk, cela créait toujours un petit effet surprenant dont j’avoue, je jouais avec plaisir.

Mais plus le temps passa, plus je vis de femmes dans les conventions de jeu de rôle, de jeux de sociétés, dans les salons de gamers, dans les festivals de manga et de culture japonaise, chez les fans de dessins animés, de cosplay,  dans les MMORPG, dans les univers virtuels, et j’en passe. En fait, actuellement, c’est ne pas tomber sur une copine en moins de dix minutes qui me surprendrait. Sauf dans les salons de gamers. Ou alors, comme moi, elle se demande ce qu’elle y fout.

Et en matière de leaders dans les mondes de l’imaginaire, je crois que désormais, les femmes y ont une place qui se conforte, même si ce n’est pas encore vraiment à parité avec les mecs. Il faudra du temps, et on n’a pas de Marion Zimmer Bradley, de Tanith Lee ou d’Anne Rice tous les jours.

Après, il y a une sorte de timidité, je vais en parler, à oser s’afficher créatrice dans ce milieu, surtout que dans le cadre professionnel, le machisme et le plafond de verre du sexisme ont encore de beaux jours devant eux.

Finalement, le plus drôle fut de voir qu’en étant curieuse, je réalise que des femmes geekettes, il y en a plein, et le seul dernier véritable frein à se « déclarer » comme telles, est leur peur du jugement. Non des autres geeks, car les réactions hostiles sont une minorité à la marge, mais de leur entourage qui ne connait rien à cet univers, pas plus que de savoir de quoi on parle quand on parle des univers et mondes de l’Imaginaire et des jeux.

Ce n’est PAS sérieux.

Apparemment, moins que ce qu’on attend d’une femme encore aujourd’hui, qui doit s’intéresser à sa carrière, ses enfants, aux news people et aux prochaines tendances de mode maillot de bain de l’été, y’a qu’à voir les opérations spéciales pour la Journée de la Femme, on n’est pas le cul sorti des ronces.

Bref, ce sont les mêmes bien-pensants qui me disaient quand j’étais ado que je ne ferais jamais rien de bien de ma vie, et que je gâcherais ma carrière et mon futur parce que j’avais le malheur de dessiner des petits mickey façon manga, et que je préférais me lire Soljenitsyne, Tolkien ou Arthur C. Clarke, que d’aller faire du foot ou bûcher mes maths.

Ce regard, qui reste encore vivace aujourd’hui, est en fait le principal frein pour les femmes à s’afficher publiquement et assumer sans vergogne leur passion de geekettes. Un frein qui mettra du temps à disparaitre –j’avais cru une dizaine d’années, mais encore une fois on n’est pas le cul sorti des ronces- mais qui, avant tout, doit être combattu par chacun. Autant être fière de ce qu’on est, même si ça fait chier papa, maman, la copine, ou le compagnon/la compagne. Après tout, on n’a qu’une vie.

Quant aux derniers crétins résistants à l’arrivée des geekettes dans leur univers cloisonné, de ceux qui pensent qu’il faut une bite et une grosse voix grave pour pougner sa race à Counterstrike, ces petites bulles sexistes de gamers geeks haineux et odieux, laissons-les crever dans leur coin.

N’oublions pas de se foutre de leur gueule, de dénoncer leur misogynie, et de ne pas laisser passer leurs insultes. Mais traitons-les activement par le mépris le plus complet, et de préférence, méprisons les non entre geekettes, mais entre tous les geeks, les autres, l’immense majorité, mes frères et sœurs, pour paraphraser Desproges, qui n’avons pas tellement de temps à s’occuper de se soucier de crétins, car il y en aura toujours, quoi que l’on fasse.

On a meilleur temps à faire. Comme par exemple prévoir notre prochaine partie de Prophecy entre deux chasses au dragon à Skyrim, et la préparation de la prochaine convention ludique.

Et j’ajouterai une dernière chose : mesdames, quand on vous fait chier, faites chier. Toujours. En fait, cette règle s’applique à toute personne victime de discrimination. Ne jamais se taire, et ne jamais hésiter à être odieux vers qui l’a été, envoyer chier, lever le ton, et pourrir le connard discriminateur pour en dénoncer l’ignominie.

On ne doit jamais se taire.

Une réflexion sur “Je suis une geekette, et il y en a plein.

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