Je vous avais demandé de me poser des questions, voici les réponses !
Pour le magazine Rolis, je devais faire un interview et le rédacteur m’avait donné comme consigne : on t’a déjà posé toutes les questions possibles, alors choisir à quoi tu veux répondre… et du coup, c’est à vous, ma connunauté, que je suis allé demander : « ok, à quelles questions en relation avec mon travail et mes activités, vous voulez que je réponde ? »
Et comme le magazine est sorti, voici vos questions, et mes réponses ! Enjoy ! Et d’ailleurs, vous pouvez le trouver dans certaines boutiques et kiosques, allez voir Rolis ci-dessous, c’est une très bonne came, avc plein de matos gratos !)
Le site web Rolis : https://www.rolis.net/
Rolis magazine: https://www.rolis.net/mag
Un immense merci à vous tous d’avoir joué le jeu, je vous adore !
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L’interview
– Le JdR, ça t’est venu comment ? Et par quel cheminement passe-t’on de joueuse à pro ?
Ben, comme beaucoup de monde. Tu es pré-adolescente (j’avais 11 ans, en 1982), tu rencontres des gens qui ont l’air de beaucoup s’amuser sur une terrasse ombragée, en faisant des grands gestes et en lançant des dés bizarres, ils t’invitent à essayer… et tu adore ça, au point que cela devienne le moteur de ton imagination, à jamais. Je veux dire, jusque-là, je voulais devenir vétérinaire quand je serai grande… une poignée d’années plus tard, j’avais 15 ans, j’étais totalement geek, à l’époque où ce mot n’existait même pas, j’étais la présidente d’un petit club de jeu de rôle dans notre collège, avec des mini-parties entre midi et 14 hr, jusqu’à 5 tables à la fois, et je voulais devenir artiste et autrice de bédé, créatrice, en gros ! Et je le suis devenue ! Étant particulièrement inadaptée au contexte social de l’école, le jeu de rôle m’a sauvé et a sauvé mes études. Quand tu es transgenre, surdouée, et que ton cadre familial c’est de la violence à l’état pur, t’es pas vraiment « normale » pour les gosses, et même les profs… Bon, je ne suis jamais devenue autrice de bédé, certes et je suis devenue illustratrice pro tardivement. Mais le fait reste valide.
Après, comment je suis passé d’amatrice à pro ? Pour l’illustration, c’est quand je ne pouvais plus travailler en entreprise, quand mes problèmes de migraine chronique sont apparus de manière ingérable : personne ne va engager une employée qui risque d’être malade une semaine par mois. Encore qu’Ubisoft a réellement voulu me recruter comme directrice artistique… avant que le comité de direction apprenne que j’étais transgenre ! Vu ce que nous avons appris sur la boite ces dernières années, pas de surprise ! bref, je me suis lancée en indépendante, et mes premiers clients, c’était dans l’éditorial de jeu de rôle, puisque c’était le milieu avec lequel j’avais le plus d’affinités. En fait, mon premier client, c’était même mon meilleur ami et grand frère de cœur, Stéphane « Alias » Gallay, l’auteur de Tigres Volants et un des auteurs de Freaks’ Squeele. Quand à pourquoi je suis devenue autrice de jeu de rôle… c’est une autre histoire et je vais y répondre dans la question suivante.
– Qu’est ce qui t’as poussé à devenir autrice, et est-ce que c’est la même chose qui te fait continuer ?
Alors, ça a commencé par des romans, et j’ai déjà raconté l’histoire : c’était le 27 Janvier 2014 précisément, et je parlais avec Igor Polouchine, l’auteur du jeu de rôle Shaan. J’étais en pleine dépression, et ça faisait je sais pas combien de temps que je ne dessinais plus… et il me dit : « eh bien, écrit ?! Puisque tu ne peux plus dessiner, écris. Lâche ce que tu as sur le cœur et dans l’âme, écris sur ton expérience et sur toi ». Et c’était plutôt un bon conseil, mais comme moi et les autobiographies, ça fait 42, j’ai j’ai ressorti de vieux textes des nouvelles perdues sur mon disque dur. J’ai toujours écris, mais juste pour moi. J’ai commencé à me creuser la tête, imaginer un personnage, Lisa, fruit de souvenirs intimes, d’expériences de jeu de rôle et de mes propres convictions… et puis, c’est ainsi qu’est né les Chants de Loss : la somme de mes pires rêves et de mes plus splendides cauchemars.
Quant au jeu de rôle, ce n’était vraiment pas un projet planifié, à l’origine ! C’est la faute à mes amis ! J’étais en train de leur pitcher l’univers pendant une fête d’anniversaire arrosée, et ils se sont écriés : « mais c’est un settings de jeu de rôle, ton truc ! Vraiment, tu devrais en faire un jeu de rôle ! » Et j’étais assez ivre pour les croire, et assez entêtée pour les prendre au mot… et ça a vraiment commencé comme ça !
Alors, qu’est-ce qui me fait continuer ? J’ai besoin de rêver, j’ai besoin de donner à rêver aux gens. Je suis une rêveuse d’univers, c’est pour cela que j’adore tant dessiner et peindre, et que je ne me suis jamais spécialisée dans un seul thème. Je m’ennuierais vite à toujours faire la même chose, même si ce serait plus facile à vendre. Tant que je rêve et que je peux donner à rêver, je continue. Pourquoi ? Pour la même raison que vous avez besoin de manger. Pour ne pas mourir…
– Quelles sont tes inspirations graphiques, de mécaniques de jeu et de références de fiction ?
Mon dieu, j’en ai plein ! Mais je citerais pour la partie visuelle Rahan d’André Cherét, mon papa en dessin, que j’ai eu l’honneur de rencontrer quelques fois, et quelques autres bédéistes Européens du courant réaliste, comme Roger Leloup (Yoko Tsuno) et François Bourgeon (Les Passagers du Vent) puis les comics en fort trait noir et blanc, comme les Conan de John Buscema, puis quelques grands noms de l’illustration de jeu de rôle dont les plus importants sont, pour moi, Larry Elmore et Angus Mc Bride. Et beaucoup d’inspirations du manga, surtout Masamune Shirow, Masakazu Katsura, et Hayao Miyazaki.
Pour les mécaniques de jeu, déjà, je suis allergique à la nostalgie, et je n’aime ni D&D, ni le basic roleplaying system (l’Appel de Cthulhu). Moi, ce qui m’a le plus inspiré, c’est en ordre chronologique Cyberpunk 2020, puis le Monde des Ténèbres (Vampire, Mages) et enfin Légende des 5 Anneaux (seconde édition). Plus tard, je me suis pris d’intérêt pour la théorie LNS, pour les solutions proposées par les jeux de rôle narratifs ou qui s’en inspirent et comment combiner tout cela avec des mécaniques plus classiques (on ne se refait pas, je suis vieille), pour obtenir une hybridation agréable à employer entre ludisme, narrativisme et simulationnisme, qui privilégie toujours le ludisme, car, on est vraiment là pour s’amuser, alors autant que le système l’encourage avant tout.
Pour la fiction… Ok… vraiment trop pour les citer ! Je suis de formation littéraire avant tout, j’ai fais des études de bande dessinée et plus tard de cinéma, alors, vraiment, j’ai trop de référence. Mais dans mes préférences, c’est clairement la science-fiction, avec en tête Heinlein, Arthur C.Clarke et K. Dick. Mais dans ma manière d’aborder la narration, que ce soit en roman ou en jeu de rôle, je suis fortement inspirée par les codes techniques et narratifs du cinéma ! Et bien sûr, le cinéma d’action, de fantastique ou de science-fiction, qui, s’il est bon, justement, est en plus de divertir, apte à faire réfléchir son public. Et du coup, moi, je connais beaucoup plus les réalisateurs que les acteurs ! Mes films préférés ? Dark City, Après la Pluie, The Crow, 2001 et Aliens ! Mes séries préférées ? X-files et Person of Interest !
– Quand tu as commencé à écrire et à dessiner, savais-tu que ce serait dans le cadre du jeu de rôle ? Ou bien l’enjeu du JDR s’est imposé après dans ta sphère de création ?
Alors, quand j’ai commencé à écrire, une partie de mes inspirations venait du jeu de rôle, donc, la relation était immédiate. Mais je ne pensais pas que ce serait dans ce cadre-là… déjà, je ne pensais même pas que j’allais faire éditer mon roman, à ce moment-là. Pour l’illustration, j’en ai parlé plus haut : quand je me suis lancé en freelance, mes premiers clients étaient des rôlistes, et c’est désormais la grande majorité de ma clientèle. Et à partir du moment où on a lancé le jeu de rôle les Chants de Loss, et qu’il a fonctionné, l’évidence s’est imposée.
– Si vous deviez pitcher les chants de loss et singularité en deux phrases, quels seraient elles ?
Plutôt que pitcher les titres des deux jeux : Les Chants de Loss, le jeu de rôle Da Vinci-punk dans un monde étranger et lointain ; et Singularités, le jeu de rôle de science-fiction Solarpunk fantastique, j’allais pitcher les sujets de ces deux jeux :
Les Chants de Loss : c’est l’histoire d’une révolution dans un monde merveilleux mais effrayant et cruel, qui concentre toutes les horreurs du patriarcat et de l’injustice, et pourquoi elles mènent toujours à cette révolution.
Singularités : c’est la mise en abime du paradoxe de l’Humain qui cherche toujours à progresser en bonne intelligence avec ses semblables, alors qu’il doit se battre contre ses travers les plus sombres et égoïstes, et contre ce qui est à la fois la plus merveilleuse de ses forces, et la plus terrifiante de ses menaces : la technologie.
– L’univers des CdL est dur, avec des thèmes comme l’esclavage et la prostitution. Qu’est ce qui a amené votre groupe à partir sur ce choix ?
Ben… le jeu de rôle les Chants de Loss est le reflet –atténué- des romans, qui sont réellement ma plus intime et personnelle création, une sorte de mise en abime de mes pires rêves et mes plus splendides cauchemars, et le manifeste de mes convictions humanistes et féministes. Le tout est finalement romancé dans une histoire qui dénonce en le mettant en scène cet univers qui est vraiment similaire à des contextes et périodes de l’Histoire qui ont existés. Mes deux co-autrices, Alysia et Emilie, n’ont pas voulu qu’on édulcore la dureté des romans dans le jeu de rôle. Pour elles, le sujet derrière le thème du jeu était clair, et il devait ressortir sans censure dans le jeu. Mais on a fait quand même quelques concessions pour l’atténuer.
– Pourquoi les sciences ont-elle une telle place dans tes créations ?
On me le demande souvent, voire on me le reproche – et même ma compagne, Alysia, trouve ça un petit peu pénible parfois ! Parce que j’ai un immense besoin de répondre à la question : pourquoi ? Comment ça fonctionne, pourquoi, de quelle manière ? C’est un souci de cohérence, pour moi. La plus incroyable magie doit avoir ses propres règles basées sur un support essentiel : les lois fondamentales qui régissent la physique, la réalité. On peut se servir de ces lois, on peut jouer avec, s’en inspirer pour créer de nouvelles lois, mais on ne peut pas les ignorer et juste dire : « parce que c’est magique ». Du coup, mon souci de cohérence, de crédibilité scientifique, me pousse à toujours répondre à la question :« pourquoi? » et « comment ? ». Il y a quelques jours, on a joué à Star Wars, et notre meneur de jeu riait quand j’étais frustrée des limites absurdes de la technologie de Star Wars (mais c’est quoi ces radars de merde ?!) dans une scène de jeu, car la seule réponse à ces limites était : c’est Star Wars. Dans mes créations, je refuse que ce soit la seule réponse possible.
– Penses-tu que l’utopie Solarpunk que propose Singularités soit atteignable dans le monde réel ?
Singularités est une tentative d’utopie inachevée et déjà ratée ! Elle est aussi atteignable que le serait celle de Star Trek, par exemple. Et les deux univers ont un point commun : une catastrophe tellement massive, suivi de tels risques existentiels, que toute l’humanité a été forcée de remettre en question ses plus profondes croyances, et une intervention extérieure qui lui a offert une direction à prendre (dans Singularités, les IA). Alors, oui, ce serait peut-être atteignable ? Ou quelque chose de similaire ? Je ne sais pas, mais un mieux serait en effet possible. Mais tu as envie que ce soit au prix de 6 milliards de vies humaines et du risque réel d’extinction de l’espèce ?… Car en gros, c’est ça. Bon, cela dit, on risque bien de le savoir plus vite qu’on le voudrait, vu comme on est partis. Et bon, sans la pile Shipstone, qui est physiquement impossible en l’état actuel de nos estimations sur les possibilités de la physique (c’est pareil dans Star Trek), c’est nettement plus difficile à envisager.
– Qu’est ce qui distingue le plus tes univers des autres créations du monde du jeu de rôle.
Selon moi, plein de choses, mais qui me ferait soudain me sentir quelque peu arrogante, et je n’aime pas ça…. Disons que ce sont des jeux à univers, qu’on tente d’offrir avec une très grande richesse de contenu, une grande variété de possibilités d’exploitations pour l’utilisateur, avec, toujours, un accent marqué pour une mise en scène héroïque et une mécanique de jeu facile à aborder et avant tout ludique. Ha, oui… et ce sont toujours des jeux à metaplot (des jeux à complots et à secrets), mais dont le metaplot et ses clefs est toujours fourni de base dans le jeu. Je déteste qu’une gamme de jeu te dise que cela sortira dans un supplément qui, soit arrive bien trop tard, soit n’arrive jamais.
Et bon, ben, ils sont richement illustrés parce que je peux me charger en bonne partie de ce boulot moi-même, et on fournit toujours une version beta du jeu gratuite en PDF, avant qu’il ne soit édité.
– Comment es-tu reçue, en tant que femme, et particulièrement femme trans dans l’univers du jeu de rôle ?
Hé bien, l’ensemble de la communauté des rôlistes le considère plutôt positivement. Au pire, ils s’en fichent, au mieux, ça leur fait plaisir de voir des créations de jeu de rôle réalisées par une femme, ça crée une diversité bienvenue. Les joueurs LGBT+ et les femmes rôlistes, eux, ça leur fait dans leur immense majorité très plaisir : les créatrices de jeu de rôle femmes sont vraiment pas nombreuses, un jeu de rôle écrit en entier par trois femmes, c’est encore plus rare. Et y’a une petite minorité qui me déteste de manière très active, la même qui se fait une spécialité du cyber-harcèlement des créatrices dans le monde du jeu vidéo, ou de l’illustration, et qui défend ses postures sexistes, homophobes et racistes. L’expérience démontre que la majorité des rôlistes est, au moins dans les idées et les opinions, à défaut de l’être totalement dans les actes, clairement une communauté progressiste et inclusive. Même si le backlash réactionnaire, raciste et antiféministe actuel risque de se voir dans la communauté des rôlistes.
– Beaucoup de choses t’agacent, tout le monde le sait. Mais peux-tu faire un top 3 des choses qui t’agacent le plus dans le milieu du JDR ?
Han, cette question ! Ok, alors, en premier les partisans du : les règles ça sert à rien, c’est le meneur de jeu qui fait le jeu de rôle ; mec, pourquoi on se casse le cul pour créer des systèmes de jeu solides et intéressants et pourquoi on écrit des jeux de rôle, alors ! Sérieux ?! Les détracteurs des principes de la sécurité émotionnelle dans le jeu de rôle, comme si les gens ayant subis traumatismes, discriminations et expériences humiliantes et rebutantes dans le cadre du jeu de rôle n’existaient pas, ou ne comptaient pas. Et enfin, les gens pour qui, sorti de D&D et consort, y’a pas de « vrai » jeu de rôle, et pour qui les JDR solo, les JDR à narration partagée, etc etc etc, c’est pas du jeu de rôle.
– Est-ce que tu accepterais de laisser une personne faire des Chants de Loss un film, ou une série, ou un autre média ? (Avec peut-être les entorse qu’une adaptation sous-entend)
Sans hésiter, mais pas à n’importe quelle condition : un droit de regard et donc de conseils sur qui produit, qui réalise, et comment ce serait adapté. Il me faudra sûrement prévoir pas mal de calmants pour gérer le stress et la frustration, mais je foncerais sans hésiter ! Je veux dire, accepter de lâcher prise à sa création, c’est la première chose que tu dois apprendre à accepter quand tu travailles en collaboration. Alors, laisser autrui adapter ta création sur un autre média, c’est aussi accepter de lâcher prise et de s’attendre à certaines trahisons sur la forme… Si le résultat reste de qualité et respectueux du sujet, c’est très bien.
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