Rien à voir

Geek n’est qu’un mot; rien qu’un mot.

Bon, en attendant que mon cerveau cesse d’hiberner -un effet secondaire des états migraineux, ce qui donne l’impression d’avoir une chape de plomb en travers de la boite crânienne- et que je m’occupe de ma dernière composition de dessin, je prends ma plume -heu non, mon clavier; 2013, Axelle, nous sommes en 2013- pour participer un peu à un sujet débattu autrement, ici et là, concernant le sexisme et le communautarisme dans le monde des geeks, ce qui pose diverses questions, genre, quoi t’est-ce que c’est t’y qu’un geek, par exemple?

Comme je l’ai dis plus haut, avec un cerveau en marmelade, je vais pas essayer de lancer un débat ou une définition, disons que j’ai longtemps considéré les geeks, du moins tels que je les côtoyais, comme une sorte de résurgence des romantiques de la fin du XIX° siècle, ce qui maintenant est une définition un peu foireuse. Le mot geek est un fourre-tout pour parler des gens qui sont tout aussi bien des fans de mangas, que de jeux vidéos, de culture fantasy, de JDR, de programmation informatique, ou de simples et heureux possesseurs de smartphone.

Et c’est clair, un fourre-tout ne fait pas une communauté, loin de là, en fin de compte, les geeks se ressemblent surtout par le parcours qui leur on donné à entrer dans une communauté de gens partageant leurs aspirations, leurs passe-temps, et leurs goûts.

Commençons clairement, je suis un cas. J’entends par là que même pour les geeks, je suis une Alien.

Oui, j’aime ça, j’avoue.

Mais quand j’avais 13-14 ans, j’en riais et m’en délectais bien moins.

Je veux dire, commençons par: j’étais un garçon…. en tout cas, en apparence, y’avait pas trop à en douter. Moi, je savais que quelque chose clochait grave, mais bon, à l’époque, le mot transsexualisme était méconnu, je ne l’ai d’ailleurs entendu que vers 25 ans. Je me retrouvais donc dans une situation étrange. J’aimais pas le foot; j’aimais pas embêter les filles. Et coté virilité et essai de gagner au concours de celui qui a la plus grosse, j’étais carrément hors-jeu (je voyais pas en quoi ça en était un).

Là, rien qu’avec ça, dans les années 80, j’étais pas très normale pour l’adolescente de collège moyen.

Rajoutons au tableau que j’étais petite, grosse, et bégayante, et détestant mon image, je me fringuais exclusivement en survets informes. Et je ne m’intéressais pas à la télé -je préfère, j’ai toujours préféré lire, que fixer la boite à cons- sauf pour quelques dessins animés aux débuts de l’âge d’or télévisuel des dessins animés japonais.

Moi, je révais sur Albator, les Chevaliers du Zodiac, les Mystérieuses Cités d’Or, and co. J’étais abonnée aux comics Strange, Xmens, Marvel, et je lisais aussi bien du Soljenitsyne, que du Franck Herbert ou du Lovecraft. Les premiers mangas étaient inconnus, et allaient arriver quelque années après avec le film Akira, après le manga publié et distribué en kiosque.

Et qui allaient me mettre une claque énorme, et à partir de mes 15-16 ans, changer autant ma vie, que mes premières expériences de jeu de rôle.

Mais mes années de collège furent juste une sorte d’enfer, un apprentissage contraint des travers du genre humain. L’ostracisme, le racisme, le sexisme, la violence, l’isolement, pendant ces trois années, furent l’expérience de mon quotidien. C’est là que je me souviens de mes étranges bulletins de note, et des commentaires du conseil de classe: « marginale. » J’avais les notes que je voulais en classe; j’entends par là que je ne foutais rien en classe, sauf dessiner, et que dans la plupart des matières scolaires, je battais à plate couture les « meilleurs élèves ». J’obtenais les résultats attendus par le jugement des adultes, mais sans entrer dans leur jeu, dans leur logique, celle de l’élève studieux au premier rang, qui participe en classe, et sociabilise. Isolée, et n’ayant aucuns points communs avec garçons et filles de mon âge, puisque n’étant ni garçon, ni fille, ni intéressée par rien de leurs attractions et goûts communs, je ne voyais aucunes raisons de faire un effort pour entrer dans le groupe social qu’on me mettait en modèle.

J’avais fini par être fière de cet étrange commentaire, sur un bulletin de note, lapidaire, d’un conseil de classe chargé de donner son avis sur un être humain parmi des centaines: « marginale ».

Ils auraient pu mettre Alien, mais je doute de leur capacité à avoir ce sens de l’humour.

Ce qui me surprends le plus, avec le recule, c’est leur étonnement à ma soudaine exploitation de la violence. A 15 ans, j’ai commencé à me défendre des roustes quasi quotidiennes que je prenais, et avec un talent martial aiguisé -merci les cours de judo qui me permettaient entre midi et 14 hr de m’occuper sans me retrouver totalement seule entourée de gens qui étaient des aliens pour moi. Et à partir de 15 ans, j’ai appris que je savais me battre, que je savais garder mon sang-froid dans une situation de baston, et que je gagnais.

Soudain, parce que j’étais apte à la violence, mais aussi apte à en user, et gagner, je me suis retrouvée dans un rôle normé: l’Alien intello petite et boulote, qui bégaillait, avait grandi, s’était affinée, grâce au sport; je faisais de l’athlétisme -où j’étais aussi vue comme alien- je n’ai arrêté que des années plus tard; battais tout adversaire venu la provoquer, sans pitié, mais surtout, défendais les plus faibles, les plus jeunes, contre agressions, violences, et humiliations. Je défendais des gosses qui me ressemblaient, qui eurent pu être moi quand j’étais juste deux ans plus tôt, contre les mêmes, élèves moyens et médiocres, mais normés et dans le rang, qui leur faisaient vivre l’enfer que j’avais vécue.

Et je me retrouvais invitée dans ces communautés, socialisée, aimée des filles, non parce que je les draguais -vous avez pas idée comme je sais pas ce que c’est que draguer!- mais parce que je me sentais à l’aise avec elles, et que je les défendais des gros lourds moyens des environs. Même chose pour ces gosses à lunettes, ou pas, aimant les dessins animés et les comics, premiers geeks des premières années des ordinateurs personnels, qui étaient la risée de tous… ce tous qui étaient ceux qui m’avait maltraitée, et que je maltraitais à mon tour.

J’ai du vite m’imposer des règles: ne pas agresser, ne pas provoquer, mais ne me battre et ne donner de rouste que pour me défendre, et défendre une personne agressée. Jamais autrement.

C’est ce qui fit de moi un peu définitivement une sorte d’Alien, mais cette fois, appréciée en règle générale pour ses différences, et non honnie. Je devins membre d’un club de jeux de rôles, le jeu de rôle devenant mon exutoire, ma passion, une partie de ma vie, ce qui est toujours vrai à 42 ans. Un club de geeks, 99% de garçons, fermés dans leur passion, et une communauté très fermée, et ayant choisi de rester « entre eux ». Mais pas moi. D’un coté pratiquante de sports, de l’autre ange-gardien de mon collège, plus de mon lycée, aimant côtoyer les filles et me sentant à l’aise avec elles, sans soucis de les draguer, sans craintes de partager leurs gouts et leurs aspirations, autant que fan de technologies, et de jeux de rôles, de littérature, d’art, artiste moi-même, je me suis retrouvée à la croisée de plein de communautés où j’avais ma place, sans me sentir obligée de défendre et protéger cette place.

Ce que m’apprit cette adolescence de collège, c’est ce que fais la haine, le racisme, la peur de l’autre, le jugement que peuvent avoir les gens face à qui n’est pas normé. Cela m’a suivi toute ma vie et défini ma propre éthique: ne jamais adhérer. J’ai vu des communautés et  clubs devenir des forteresses terribles fermées à tout ce qui ne leur ressemble pas, j’y avais ma place, en refusant d’adhérer à cette idée, j’ai vu les ravages de juger, de fermer les yeux, les oreilles, l’esprit, à qui pense autrement, à qui vit autrement, parce que je vivais, pensais, était autrement que tous.

Je n’aurais pas été transexuelle, vivant dans le corps d’un autre, enfermée dans ma propre prison, héritière d’une enfance violente et terrible, aurai-je été différente? Oui, clairement.

Je suis une geekette. J’aime les jeux vidéos, même si je suis pas douée pour beaucoup -je vous raconte pas mon score dans les FPS!- j’aime la culture fantasy, les films de super-héros, le jeu de rôle, les mangas, les jeux de sociétés, les gadgets technologiques, la science, l’histoire, la culture. Mais ce portrait ne dresse qu’une partie de ce que je suis, immensément plus que simplement cette étiquette, et si je suis membre de ce fourre-tout qui n’est plus du tout une communauté, mais une dénomination générique et floue, je suis loin d’être seulement cela.

Je n’ai donc rien à défendre, à protéger, je ne me sens pas le besoin d’avoir une communauté isolée de tout ce qui ne lui ressemble pas.

Et pour mes amis, que je chéris tant, je suis une Alien. Cela leur plait, les fait rire, suscite tendresse, admiration, parfois agacement. La vie m’a appris bien des choses, mais il en est une, qui à la lecture de ce texte, vous paraitra plus clair, une phrase que j’aime dire, souvent:

Il ne faut jamais adhérer.

2 réflexions sur “Geek n’est qu’un mot; rien qu’un mot.

  • Si tu adhères, il faut te laver plus souvent. 😉

    Sinon, OK, geek est un mot, mais « rien qu’un mot », ça n’existe pas. Ou alors c’est un mot inventé, genre « glakzbmül ».

    Les mots ont un sens; c’est à cela que ça sert: à définir, à poser des concepts. Ce qui est important, c’est ne pas s’y attacher outre mesure. D’une part, la langue évolue (blague eyldarin) et les définitions aussi; d’autre part, à partir du moment où tu commences à pinailler sur les virgules plutôt que sur les concepts, tu as un problème.

    Bref. Je reprends ici un commentaire que j’avais fait sur G+ au sujet d’une petite bande dessinée sur le sujet: « avant, tu es tout seul dans ton coin et, soudainement, tu trouves un groupe social où tu as ta place. Du coup, tu deviens prosélyte. L’instinct grégaire, il faut savoir le dépasser. »

  • Psychee

    J’aime la blague eyldarin (tiens, quand on parle de petite communauté obscure).
    Mais geek n’est qu’un mot dans le sens où sa définition ne décrit pas grand chose, et que son emploi pour se définir finalement est vide de sens, tant sont nombreuses les réinterprétations possibles du terme. Il y a trèèèès longtemps, on m’avait demandé d’expliquer ce que j’entendais par « geek », à une époque où le mot était méconnu. Si je devais le définir, 12 ans plus tard, cette définition serait totalement autre, plus courte, plus floue…
    .. et vachement moins cool.

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