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Incompétence, cynisme et IA génératives dans l’édition de jeux de rôle

Haaaa, l’incompétence…

Oui, parce que quand un professionnel vous dit : « je ne savais pas/je ne m’en suis pas rendu compte/j’ai oublié », il vient de faire la démonstration de son incompétence. Et vous savez quoi ? C’est pas grave ! On est tous, à un moment ou un autre, incompétents, même en croyant ne pas l’être. Et il est autrement préférable d’avouer notre incompétence, que de foncer droit dans le mur, se défoncer la gueule façon puzzle, et, en fin de compte, se faire remarquer, comme une sentence définitive : « ha, mais en fait, t’es incompétent ?! »

Car on est tous incompétents, à un moment ou à un autre, il suffit d’avoir l’honnêteté de l’admettre…

… et ne pas s’en servir comme excuse pour dissimiler son cynisme rapace et sa fraude assumée.

C’est ce que vient de faire Posidonia Edition. Et c’est pas bien. Parce que ça s’est vu. Parce qu’on est tous enclins à pardonner l’incompétence, et donc, à se faire baiser, quand il s’agissait de pur cynisme.

Mais pour expliquer la suite, je vais devoir rappeler une chose à tout le monde. Les IA génératives qui permettent à partir d’un descriptif (un prompt) de générer une image fonctionnent en employant comme base de donnée tout ce qui se trouve sur Internet, c’est-à-dire tout. Un artiste qui veut se faire connaitre et vendre son travail mets forcément ses œuvres sur Internet : il n’a pas le choix, mais impossible d’empêcher les outils de base de données des IA d’y accéder, que ce soit légalement ou techniquement ; un vide juridique total, et aucuns outils techniques pour éviter le pillage. Et plus il est connu, plus il est plagié et copié et plus les IA génératives sont alors entrainées à le plagier de mieux en mieux… Une IA générative peut générer des dizaines de modèles différents en environ 30 à 40 secondes, et des milliers et des milliers le temps que l’artiste dont elles piratent le style fasse une œuvre. Il suffit pour cela de changer quelques mots du descriptif.

Il n’a pas fallu six mois pour que, alors que je ne suis pas connue, un site de vente en ligne polonais mette en vente des dessins noir et blancs semblables à mon travail au point de s’y tromper totalement parmi une collection entière d’œuvres prétendues originales, en noir et blanc. Ma signature inclue. J’ai pu le faire fermer. Mais combien d’autres en ce moment ? Combien d’entreprises concluent, en toute logique financière, que c’est génial et autrement moins cher que d’engager des artistes, puisqu’on peut piller et plagier leur talent et leur style sans leur demander, pour obtenir pareil, pour quasi aucun coût, et infiniment plus vite ? Combien de plagiaires, faux artistes, proposant leurs services au prix de quelques euros, en dépeçant notre travail ? Ben justement, on va en parler…

Donc, les éditions Posidonia sont en train de lancer un financement participatif pour une campagne de jeu de rôle dans l’univers (désormais libre de droit) des romans de Lovecraft (l’Appel de Cthulhu) et, parce que ça coûte pas un kopek (‘c’est pas vrai… ça coute entre 10 et 20€ par mois l’abonnement, selon moi à Stable Diffusion, le service d’IA générative qu’ils ont employé si je me fie aux visuels), ils avaient prévu de mettre des illustrations générées par IA .

Puis, de rajouter un palier en urgence à 20 000€  et changer leur com’ pour promettre que, si le palier est atteint, les images par IA seront retirées. Regardez, chers clients, si vous payez assez, y’aura de vraies illustrations ! Sinon, c’est votre faute, vous avez pas assez pledgé !

Avant, de finalement, devant le tollé provoqué par ces différentes décisions ainsi que les réactions de la clientèle et de professionnels du milieu, décider de faire un communiqué, qui a un petit goût d’excuse cynique « on savait pas ». On était incompétents, on était pas rapaces, ne nous tapez pas, on savait pas !


Mais voilà, il n’y a pas que moi qui suivais les communiqués et discussions de cette campagne de financement participatif. Et de manière claire et évidente, l’emploi d’images d’IA génératives était totalement assumé et pris en toute connaissance de cause. Pourquoi ? parce que c’est moins cher ! Ce que je comprends tout à fait du point de vue économique tout en ne l’admettant pas du tout ! Car une IA générative ne concurrence pas les artistes ; elle les pille. Elle clone leur travail, passé à la moulinette de ses algorithmes, pour cracher du nouveau contenu industriellement.

Une IA ne crée rien. Elle clone et réassemble, à une vitesse et une cadence impossible à concurrencer, qui réduit les coûts en exploitant la créativité et les réalisations des humains qui se font voler leurs œuvres sans aucun moyen légal de l’empêcher. Ce n’est pas de l’inspiration, c’est du plagiat ! En plus mesquin et plus pervers et surtout ! Ca ne coûte aucun effort au créateur qui écrit le prompt (car au moins, un plagiaire, lui, il bosse, pour plagier) puisque ce prompt est d’une part, très facile à écrire, d’autre part peut même être rédigé, sans efforts, par une autre IA générative qui peut le faire des milliers de fois en quelques instants !

C’est pas une concurrence, pour les artistes, les graphistes, les designers, les photographes, les auteurs, les journalistes, les rédacteurs… Actuellement, c’est leur disparition inéluctable et leur mort assurée (et elle est en cours, croyez-moi).

Editions Posidonia repose entièrement sur des auteurs et des artistes pour son modèle économique. C’est un éditeur de jeux de rôle, ce qui implique des gens qui inventent, imaginent, créent, écrivent, et illustrent. Et ces auteurs et artistes ne sont soudainement pas devenus plus chers ou hors de prix ; au contraire. On est en pleine crise économique, plus personne n’a un rond, et les auteurs et artistes, même s’ils gagnent des clopinettes, ont souvent baissés leurs prix, par solidarité et nécessité.

C’est donc aussi le moment pour des éditeurs – c’est le cas du mien, et croyez-moi, ça me fait chier, mais j’approuve sa démarche – de penser à faire des livres de jeux de rôle moins riches en contenus visuels, moins prétentieux au niveau qualitatif, pour se concentrer plus sur le contenu, et moins sur la forme. Par exemple, on est partis pour sortir un jeu de rôle en livre (alors que nous avions planifié un projet en boite et livrets) avec un contenu en noir et blanc, donc, des illustrations nettement moins chères que de la couleur, et en nombre moindre. Ça réduit les coûts, ça assure que le projet sera viable, et on va faire avec.

Les solutions existent, elles impliquent des choix, des sacrifices à faire, et pas besoin de le faire au détriment des auteurs. C’est une prise de risque, mais… hmmm… rappelez-moi, par essence, ce qu’est le métier d’un éditeur ? Prendre des risques, non ? Et pas au mépris de ses auteurs, ou de ses clients, surtout pas !

Alors, pardonnez-moi, cher éditeur Posidonia, mais vous saviez parfaitement ce que vous faisiez ; vous aviez des alternatives qui ne lésaient pas auteurs et artistes, et vous les avez écartées, dans le but de vous assurer le moins de frais possible et un maximum de rentabilité, avant de vous rendre compte que ce choix allait vous exploser à la gueule, et tenter de vous justifier. Donc, ce n’était pas de l’incompétence, mais du cynisme rapace.

Et on pardonne l’incompétence. Mais vous, éditions Posidonia, ne méritez aucune mansuétude.

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